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28 juillet 2010 3 28 /07 /juillet /2010 02:13

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Premier volet d’une nouvelle saga de living dead made in Romero, Diary of the dead a semble t-il beaucoup déçu, et cela se comprend. Non, nous ne sommes pas en présence d’un film de zombies classique, si tant est que l’on puisse encore considérer que nous sommes en présence d’un film de zombies tout court. Romero va bien plus loin que le genre qu’il a lui-même initié en 1968, et c’est peut-être cela qui a tant décontenancé un public qui n’espérait rien d’autre qu’une nouvelle débauche de tripes à l’air et de viscères voltigeantes.

 

Je me rappelle, voici quelques années, être allé faire un tour sur un article de Mad Movies qui annonçait un nouveau film de morts vivants signé Romero. L’article se concluait sur une remarque typique de l’esprit de ce magazine et qui, en substance, exprimait le désir de son auteur de voir naître de ce projet un film bien gore et bien bourrin. Je m’étais alors permis, dans les commentaires, d’écrire que ce n’était pas forcément le seul aspect intéressant du cinéma de Romero et que j’espérais pour ma part avant tout un film intelligent. Ecrire ceci m’avait valu une volée de bois vert dans les commentaires suivants, une armée de gros beaufs me tombant sur le poil pour me traiter d’intello révoltant qui voulait empêcher le reste du monde de rigoler en rond. Un véritable lynchage, je n’ai pas peur d’user de ce mot. Et je dois dire que Diary of the dead me fait spécialement plaisir, tant il me venge et plonge le nez de tous ces abrutis dans la merde inepte de tous ces soi-disant amoureux de film d’horreur qui n’ont simplement rien compris, mais alors rien du tout, au réalisateur qu’ils prétendent cependant adorer.

 

Je m’amuse également beaucoup à lire des commentaires concernant Diary of the dead laissant entendre que Romero a succombé à la « mode » des films façon caméra embarquée, à la Blair Witch ou, plus proche de nous, à la REC. Il est vrai que la production récente n’a pas manqué de nous gratifier d’un joli nombre de films adoptant ce mode narratif, ce qui n’est d’ailleurs pas un mal puisque la plupart s’avèrent soit très réussis, soit au moins très intéressants, à commencer par The Zombie diaries, réalisé un an avant Diary of the dead et particulièrement mésestimé.

 

Si je choisis de citer The Zombie diaries, ce n’est pas par hasard : il suffit de comparer ce film avec celui de Romero pour comprendre que Papa George, une fois de plus, ne joue pas dans la même catégorie. Si j’ai beaucoup apprécié The Zombie diaries, force est de reconnaître que l’on demeure face à un film de morts vivants plutôt classique dans son déroulement et son scénario, à défaut de l’être dans sa forme. Tandis que Diary of the dead n’a rien de classique. Il a même de quoi dérouter tous les fanatiques bornés du genre, ce qui me remplit d’aise dans la mesure où l’on ne saurait prétendre aimer le cinéma si l’on n’accepte pas que des réalisateurs puissent prendre le parti de nous bousculer dans nos habitudes.

 

Certes, Romero ne manque pas de nous gratifier de quelques scènes qui en jettent et dont il a le secret ou d’une galerie de personnages typiques de son univers que l’on pourrait qualifier de socio-décalé, que cela soit la rencontre avec un amish sourd et muet qui dégomme le zombie à la dynamite et se plante sans hésiter une faux dans le crâne pour mettre fin aux jours (à la nuit ?) de celui qui est en train de le mordre par derrière, ou encore la petite armée improvisée de Noirs façon Black Panthers qui fera preuve d’une générosité remarquable là où des soldats dévoyés et bien Blancs de la Garde Nationale se comporteront pour leur part comme des pillards sans scrupules. La patte romerienne est plus que présente dans ces petits épisodes, comme dans beaucoup d’autres, qui viennent émailler le récit, tout comme elle l’est dans les quelques effets gores dont Diary of the dead ne manque pas de nous gratifier, peut-être afin de ne pas totalement faire fuir le fanatique originel ou l’argent des producteurs.

 

Cependant, il convient de constater que dans Diary of the dead apparaît un nouveau type de personnage, celui de la caméra elle-même. Bien entendu, ce genre de choses a déjà été dites pour Blair Witch, pour Cloverfield, ou même pourquoi pas pour une insanité comme Cannibal Holocaust. Cependant, ce qui fait la différence avec le film de Romero, c’est que dans son cas c’est VRAI. Et quand j’écris que la caméra devient un personnage à part entière, je ne désigne pas seulement celui qui la porte et délivre la majeure partie du film, je veux parler de la notion même de caméra, du concept qu’elle représente.

 

Le film s’articule autour de deux théories contradictoires, toujours présentées avec le même aplomb tant et si bien qu’elles semblent se compléter alors qu’elles s’affrontent : d’une part, la multiplicité de moyens de filmer et de diffuser ses images permet à chacun d’avoir un accès direct à la réalité sans passer par les manipulations, volontaires ou non, des médias officiels ; d’autre part, celui qui filme se met en retrait du spectacle auquel il est en train d’assister, il cesse d’être impliqué dans la réalité qui l’environne pour se transformer en seul vecteur humain des images qu’il sert à relayer. Il devient donc un média à part entière.

 

La caméra dans Diary of the dead prend une dimension rarement atteinte au sein du cinéma, et pas seulement d’épouvante. Elle devient une arme à part entière, ainsi que l’atteste certaines références (jeux de mots, effets de symétrie dans les dialogues) sensiblement ostentatoires. Tout comme l’homme doté d’une arme éprouve une sensation de toute-puissance face à celui qu’il tient en joue, l’homme muni d’une caméra éprouve une sensation d’invulnérabilité et de neutralité totale face à la réalité de ce qu’il est en train de filmer. Dans un cas comme dans l’autre, ces sensations sont illusoires et ne font que mettre en avant l’indigne incapacité de l’humain à accepter sa condition, cherchant par tous les moyens à rejoindre le modèle mythologique de ce Dieu surpuissant et omniscient qui alimente depuis des millénaires et jusqu’à l’indigestion notre culture occidentale.

 

Les caméras sont partout dans ce film, que cela soit celles des personnages principaux qui se filment les uns les autres, celles de surveillance ou autres rencontrées au hasard de leurs péripéties, ou celles des vidéos diffusées sur Youtube ou à la télévision. Un afflux incessant d’informations « objectives » qui donnent une sensation de trop-plein, et remettent en cause le mythe d’une réalité sans filtre en énonçant clairement le principe premier de l’humanité : il n’est de réalité que dans le consensus mais la réalité en tant que telle n’existe pas, chacun d’entre-nous vivant dans une dimension égocentrée et abordant le monde qui nous entoure à travers notre seul regard, qui n’est par définition jamais celui d’un autre. Autant de regards, donc autant de mensonges. Autant de points de vue qui n’ont jamais, dans le fond, d’autres buts que de servir le voyeurisme universel, de celui qui filme comme de celui qui regarde. Car c’est cela le voyeurisme : introduire sa perception dans un évènement qui ne lui était pas destinée. Devenir le spectateur d’une scène qui ne nous concerne pas mais que nous regardons quand même, éprouvant ce frisson d’une toute-puissance comparable au sentiment qu’éprouverait un être humain capable de lire dans les pensées des autres. La propriété c’est le vol, l’enfer c’est les autres, et le voyeurisme c’est le Viol.

 

Tout personnage, même le plus farouchement opposé à l’idée de filmer les drames qui émaillent le parcours de la petite équipe qu’il compose, se retrouve une fois derrière la caméra dans un autre univers, se refusant même à aider ses compagnons lorsque ceux-ci sont sur le point de mourir au nom de la « vérité », mais n’hésitant pas pour autant à demander à l’un d’entre-eux de refaire telle ou telle scène lorsqu’ils n’ont pas pu l’attraper correctement. Le mensonge de la subjectivité lorsqu’elle se prétend objective, alors qu’elle ne fait que transformer en fiction l’intolérable véracité de ce à quoi elle est en train d’assister. Et l’obsession de l’image, du film, qui remplace la vraie vie ou, pire encore, lui donne une espèce de sens, cette logique atteignant son paroxysme lorsque l’un des « héros » de cette épopée métacinématographique demande à sa compagne de le filmer pendant qu’elle lui tire une balle dans la tête.

 

Les dernières images du film, l’une des plus belles conclusions qu’il m’ait jamais été donné de voir dans une œuvre de cinéma depuis 2001 (le film de Kubrick, pas l’année…), exaltent l’absurde de notre société rongée par l’image en montrant quelqu’un en train de filmer quelqu’un en train de filmer l’écran d’un moniteur de contrôle. Boucle infinie des caméras se nourrissant d’elles-mêmes et dans lequel l’homme n’est plus qu’un prétexte. L’œil humain n’existe plus : il a besoin d’un prisme, d’une distance obsessive qui le sépare de sa réalité. Ainsi, lorsque la porte du bunker se referme, ce sont les images d’une caméra de surveillance qui rendent compte de la scène, métaphore d’une humanité tirant un trait sur sa réalité et choisissant non plus de se filmer elle-même, mais de filmer l’écran sur laquelle elle se représente !

 

Bon oui je sais c’est vague, c’est flou et c’est improvisé, mais c’est cela qui m’a marqué dans Diary of the dead : Romero vient encore de signer un film qui nécessiterait au moins deux cent pages d’études en petits caractères pour qu’en soit exploitées de manière convenable toute la densité et toute l’intelligence.   

 

Une chose est certaine : les zombies sont bien le cadet des soucis du réalisateur dans ce film à thèse subtil et complexe qui se regarde pourtant comme un charme, bourré d’humour et de rebondissements, posant ses questions sans jamais donner l’impression de le faire, et laissant le spectateur sur un sentiment de malaise inexplicable. Les imbéciles en ont conclu que le film ne leur avait pas plu, et donc qu’il était mauvais. Les imbéciles n’aiment pas qu’on leur demande de réfléchir, ils vivent cela comme une agression. Les imbéciles sont des cons.


Diary of the dead est un chef-d’œuvre, peut-être l’un des meilleurs films de Romero, en tout cas l’un de ses plus subtils et de ses plus profonds. Faudra t-il attendre cinquante ans après son décès pour que le monde du septième art se rende compte qu’il est un génie ? Si tel est le cas, alors espérons que cette prise de conscience surviendra le plus tard possible.

 

Sur ce je vous laisse, et si vous trouvez que je me la pète vraiment en me la jouant philosophe rancunier à deux balles pendant que des enfants meurent de faim dans le monde, vous avez parfaitement raison, mais tant que ça me plaît c’est l’essentiel !  

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