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10 octobre 2010 7 10 /10 /octobre /2010 01:24

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1959, époque bénie où la Guerre Froide commence à disposer ses pions un peu partout sur le globe, où il n'est pas encore de hippies claironnant leur désir de paix et de libération sexuelle dans les rues des capitales occidentales, où les Beatles n'en sont encore qu'à leurs balbutiements artistiques, où l'on torture en Algérie, où l'on considère comme un doux rêve idiot l'idée que l'homme puisse un jour marcher sur la lune, et où l'on produit des drôles de films de science-fiction dans lesquels des monstres marins radioactifs sortent des eaux pour aller enquiquiner les braves marins pécheurs des Cornouailles. Ça, c'était de l'époque ! Aujourd'hui à la place on a Lady Gaga, Ben Laden et Michael Bay. Tout fout le camp et c'est bien triste...

 

A part ce genre de stupidités, que dire à propos de Behemoth ? Pour être honnête, le discours d'usage concernant les films comme celui-ci ne saurait être évité : on est en présence d'une production nantie d'un scénario tout ce qu'il y a de plus mince et d'effets spéciaux tout ce qu'il y a de plus médiocres, accompagnée d'une musique tout ce qu'il y a de plus tapageuse et servie par des acteurs tout ce qu'il y a de plus cabots. En somme, un film tout ce qu'il y a de plus banal ? Hé bien figurez-vous que non. Ou disons : pas exactement...

 

Parce que ce film propose tout de même une réalisation de grande qualité par moments. Et c'est ça qui est dommage : ce n'est que par moments. Des instants fugaces, des plans au milieu d'autres qui sortent vraiment du lot et apparaissent bien au-dessus des clichés moribonds que ce genre d'oeuvres des années cinquante nous réservent habituellement. Les réalisateurs font ainsi montre d'un immense talent lorsqu'il est question de représenter des scènes de panique : la caméra capte la densité, la frayeur et la sauvagerie de la foule avec une remarquable aisance, et agrémente son propos de petits détails chocs (un homme s'effondrant le visage face à l'objectif, ou un autre piétiné par ses semblables) qui l'accentuent avec brio sans tomber dans le pathos. On croirait du Spielberg avant l'heure. Et l'on pourrait en dire tout autant de la représentation qui nous est offerte d'un ferry renversé par les assauts du monstre marin et dont les occupants tombés à l'eau tentent de s'enfuir à la nage : plans complexes où les corps se meuvent dans l'affolement tandis qu'au premier plan une main se laisse couler et disparaître dans les flots, puis pathétique image d'une poupée flottant à la dérive... On passe ainsi de la brutalité de l'image à celle, plus intenable encore, de la métaphore. D'un point de vue esthétique et poétique, c'est remarquable. Et cela rend Behemoth encore plus décevant...

 

Parce que ces scènes que je viens d'essayer de vous décrire, nous les trouvons coincées au milieu des apparitions du monstre qui, elles, sont atrocement indigentes. D'accord le film date de 1959, mais même pour cette époque les effets spéciaux sont mauvais. Le soi-disant monstre marin est une drôle de poupée en plastique mal articulée qui écrabouille des voitures en pâte à modeler et arrache des lignes à haute tension fabriquée avec des allumettes. Ses cris rappellent celui du corbeau aphone, sa luminescence radioactive n'est jamais que la lumière d'un projecteur braquée en plein sur la caméra, et le bruit de sirène qu'il émet est celui que l'on peut entendre dans TOUS les films des années cinquante mettant en scène des créatures élevées aux essais nucléaires. Résultat : on a droit, pendant les moments-clés du film, de quelques secondes de médiocrité suivies de quelques secondes de belle et grande maîrise, puis l'on revient au nul, puis l'on repasse au très bon, et le manège continue comme cela pendant plusieurs minutes. Evidemment, il était impensable pour l'époque de réaliser un film racontant l'histoire d'un monstre marin sans jamais le montrer. Même aujourd'hui ce serait une posture esthétique difficilement défendable auprès d'un studio. Mais le film aurait pourtant beaucoup gagné à ne jamais exhiber ces ridicules et indigents effets spéciaux qui font de ce fameux Behemoth un monstre bien plus génant que géant...

 

Toujours est-il que, même noyés dans la plus profonde des insanités, tous ces petits moments de belle réalisation existent et demeurent fort appréciables. Il y a là de quoi surprendre le spectateur blasé qui s'attend à un nanar comme les autres et se lancent dans le film en affichant une moue circonspecte avant même les premiers mots du générique. Bref, c'était bien fait pour ma gueule.

 

En-dehors de ces considérations purement esthétiques, on saluera le propos résolument anti-nucléaire du film. Il n'est pas seulement question de se servir de ce thème comme d'une excuse pour mettre en scène un monstre pas possible, mais bel et bien de « démontrer » combien les essais nucléaires sont préjudiciables à l'équilibre et à la bonne santé physique du monde. Toute l'introduction du film est, à cet égard, assez remarquable. Si elle ne vaut pas tripette du point de vue scientifique, elle demeure très virulente idéologiquement, en particulier à une époque où les préoccupations écologiques n'étaient franchement pas à la mode. Sur ces questions, à défaut d'être crédible ou profond, le film a le mérite d'être pertinent.

 

Et puis l'on ne manquera pas de sourire devant la logique narrative typique de ces productions, où personne ne remet en cause la parole du savant lorsqu'il annonce qu'un monstre marin datant des dinosaures se dirige vers Londres, où les militaires coopèrent sans le moindre recul lorsqu'il est question de mobiliser toutes les armées européennes pour surveiller la venue du gros lézard radioactif en question, et où les réunions de sécurité publique ne comportent jamais que deux types de participants : des scientifiques et des colonels. Pas la trace d'un homme politique. Pas de Premier Ministre. Pas de Ministre des Armées. Et la Reine ? n'en parlons même pas... L'autorité, ce sont ceux qui ont la science et les armes qui l'appliquent, sans prendre la peine de consulter les représentants du peuple, et encore moins le peuple lui-même. C'est une assez belle illustration de la façon dont fonctionnait le monde dans les années cinquante...

 

Sur ces belles considérations historico-géopolitiques, concluons donc allègrement : Behemoth est un film qui propose des moments de toute beauté, des petits épisodes d'originalité talentueuse au milieu d'un océan de banalités. Rien que pour cela, mais aussi pour le fait qu'il est somme toute bien rigolo et qu'il ne dure qu'une heure, cela peut valoir le coup de le regarder au détour d'un petit moment d'oisiveté.

 

Sur ce je vous laisse, et si vous vous demandez pourquoi nous n'avons pas encore vu surgir des parages de Tchernobyl des animaux géants et difformes détruisant tout sur leurs passages, dites-vous pour vous consoler que dans le genre slave et monstrueux, on a déjà largement assez à faire avec Poutine !

 

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