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16 février 2010 2 16 /02 /février /2010 14:10

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Voici quelques jours, réagissant avec la sagacité qui lui est coutumière à l'article consacré au film Le Massacre des morts-vivants, Vartan citait un passage du Guide de survie en territoire zombie, un ouvrage dont, je le confesse à ma grande honte, je n'avais encore jamais entendu parler. Comme il se trouve que je suis très curieux de nature, et incroyablement fortuné de surcroît, j'ai couru me l'acheter et me suis dépêché de le lire afin de pouvoir vous dire ce que j'en pense, parce que c'est plus fort que moi, je ne peux pas m'empêcher de faire mon intéressant.

A première vue, on pourrait croire de ce livre que c'est un ouvrage purement humoristique. La couverture de l'édition française incite à le penser, de même que la personnalité même de l'auteur. Max Brooks n'est autre que le fils de l'autre Brooks, Mel, réalisateur de comédies telles que Silent movie (son chef-d'oeuvre) ou La Folle histoire de l'espace, un homme de talent qui, hélas, perdit toute verve et toute créativité dans les années 90 et se fourvoya dans des machins comme Sacré Robin des bois... Max Brooks, quant à lui, suivant les traces de son père, fit partie de l'équipe des scénaristes de la cultissime émission Saturday night live, incontestable sommet (quoique inégal selon les époques) de l'humour nord-américain, qui révéla des acteurs comme Bill Murray, Dan Ackroyd, Eddie Murphy, James Belushi, Jim Carrey, Mike Myers, Adam Sandler et bien d'autres encore...

Pourtant, ce Guide de survie en territoire zombie n'a finalement rien d'hilarant du tout. Certes, certaines formulations peuvent produire un léger sourire de par leur ironie, mais cela peut arriver dans n'importe quel autre type de guide, qu'il soit utilitaire, touristique ou gastronomique. Seule l'idée générale est amusante, mais la façon dont elle a été traitée va bien au-delà du simple bouquin comique que l'on lit à petites doses avant de se coucher pour se dérider les zygomatiques.

Résumons : cet ouvrage part du principe que les zombies existent. Ceux-ci sont des victimes d'un virus nommé solanum, qui atteint le cerveau et maintient dans une forme de vie résiduelle les corps qu'il vient de faire succomber organiquement. Le zombie ainsi créé diffère peu de la tradition : il est animé par un désir incompréhensible de dévorer de la chair humaine (ou animale, mais sa préférence va vers l'anthropophagie) et la seule manière de le tuer pour de bon est de détruire son cerveau. Cependant, Max Brooks prend ses distances avec le modèle du zombie de Romero : il lui dénie toute forme d'intelligence et toute capacité d'organisation sociale. De la même manière, il s'oppose formellement aux zombies de ces dernières années, qui courent à toute vitesse (L'Armée des morts), grimpent aux murs (Day of the dead, le remake) ou sont même capables de léviter (Cellulaire, le roman de Stephen King). Les zombies vus par Max Brooks sont lents et incroyablement stupides. Ils tirent leur force avant tout de leur nombre et de leur degré élevé de contagiosité, ainsi que des râlements qu'ils émettent et peuvent s'avérer destructeurs psychologiquement pour qui se retrouve assiégé par toute une armée de ces redoutables prédateurs.

Considérant qu'à tout moment une épidémie de solanum peut survenir, à des degrés d'importance plus ou moins affirmés, l'auteur propose donc à tout un chacun de prendre connaissance des différentes options à prendre en compte si l'on souhaite être en mesure de parer à une telle catastrophe dans les meilleures conditions possibles. Il s'ensuit des chapitres très fouillés et très sérieux, faisant le détail de l'armement à posséder, du type de véhicule à privilégier, des particularités topographiques à éviter au cours de ses déplacements, etc. Certains de ces chapitres sont, disons-le, très chiants à lire, pour la bonne et simple raison qu'ils font preuve d'un sérieux déroutant ! Brooks n'élude aucun détail, prend en compte toutes les éventualités, bref choisit de traiter son postulat initial à fond, nous livrant, il faut bien le dire, un véritable guide de survie, et non une simple parodie...

Alors on finit par comprendre que l'on est en face d'un livre d'épouvante d'une forme tout à fait créatrice et originale, un roman-concept qui ne raconte pas une histoire mais apparaît comme un objet issu d'une histoire, un ouvrage qui aurait sa place dans un film de zombies mais se retrouve projeté dans le monde réel. Et ce procédé est d'une rare efficacité : privé de repères narratifs, décontenancé par le sérieux et le réalisme de l'entreprise, le cerveau peine à prendre ses distances avec le monde proposé par l'ouvrage et se retrouve immergé totalement dans cet univers où les zombies existent pour de vrai. Evidemment, à moins de souffrir d'une pathologie mentale lourde ou de faire preuve d'une naïveté sans commune mesure, la réalité reprend vite le pas sur l'illusion. Mais il n'en demeure pas moins que le résultat est tout à fait bluffant. On pourrait, je pense, comparer cet ouvrage à l'adaptation radiophonique que fit Orson Welles de La Guerre des mondes en 1938, une émission qui, on le sait, provoqua aux Etats-Unis de véritables vagues de panique chez certains auditeurs non-informés qui prirent ce pseudo-reportage pour argent comptant, trompés par le réalisme du ton et de la forme...

Si les chapitres les plus techniques sont assez ennuyeux, ils ont parfois le mérite d'être instructifs. Moi qui ne connais rien aux armes, j'ai appris par exemple que le M16 américain est tellement peu fiable que les Viet-Cong ne s'emmerdaient même pas à les récupérer sur les cadavres des soldats durant la guerre du Vietnam. Pour autant, l'ouvrage reprend des couleurs dés qu'il quitte le champ purement théorique pour imaginer des situations plus vivantes, mettant alors en scène des zombies et la façon dont il convient de se comporter vis-à-vis d'eux, que cela soit pour les fuir ou, au contraire, pour les affronter. On reste dans le domaine de la pure information, mais au moins on peut s'imaginer les images et se projeter dans ce monde infesté par le Solanum qu'envisage l'auteur, ce qui rend les choses nettement plus ludiques. L'auteur prétend également s'appuyer sur des documents ou des témoignages existants, ce qui là encore participe à faciliter la lecture. Son évocation d'une vidéo amatrice appelée « Document Lawson » est tellement troublante que je n'ai pas pu m'empêcher d'aller chercher sur Google si quelqu'un n'en avait pas depuis réalisé une en s'inspirant du bouquin. De toute évidence, j'étais loin d'être le premier à me poser la question...

Les dernières pages du livre sont consacrées à l'évocation de différents cas d'épidémies zombiesques au fil des temps, remontant aux origines de l'humanité pour se conclure sur les années 2000. Autant de petites nouvelles qui sont, une fois encore, narrées d'une manière totalement informelle et parfaitement dénuée de littérarité. Cependant, si ce florilège est de loin ce qui s'apparente le plus à du récit au sein de l'ouvrage, ce n'est finalement pas son passage le plus confondant. On marche moins. On se retrouve face aux limites de l'imagination même de l'auteur et l'on débusque aisément le caractère fictionnel des anecdotes qui nous sont relatées. Certaines de ces « histoires » pourraient cependant donner naissance à des films passionnants, comme ces hommes de la légion étrangère qui durent subir un siège de zombies durant trois longues années, reclus dans un fort isolé au sein du désert algérien... 

Tout fanatique des films de zombies, que l'ouvrage brocadre volontiers en dénonçant leur caractère trop hollywoodien et pas assez réaliste, se doit de lire ce livre. J'en suis convaincu. Mais au-delà de l'aspect horrifique de la chose, on ne manquera pas d'y voir une jolie petite satire de la société occidentale (en général) et américaine (en particulier), ainsi qu'une évocation de la paranoïa sociétale, conspirationniste ou non, qui se développe et prend des formes diverses et variées depuis le début du vingtième siècle, et redouble d'ardeur depuis les évènements du 11 septembre. Derrière cette peur du zombie, et la volonté des gouvernements de dissimuler leur existence, on retrouve en analogie les mythes du complot Juif ou maçonnique, de l'invasion extra-terrestre, de l'entrisme communiste, des virus fabriqués en laboratoire (le SIDA, le H1N1), de la manipulation politico-médiatique (négation des crimes nazis, remise en cause de la nature des attentats du World Trade Center) et bien d'autres encore, l'imagination humaine n'ayant pas de limites, quelle que soit l'idéologie qui en use...

C'est la vision du Grand Méchant Monde que fustige Brooks à travers cet ouvrage, et qu'il résume d'une formule sans appel : « Bien sûr, la paranoïa vous guette et vous croirez voir un zombie dans chaque bosquet, mais est-ce vraiment si problématique ? En l'occurrence, non. Vous croyez que le monde entier vous en veut ? Vous avez raison. »

Seul bémol d'importance concernant ce Guide de survie en territoire zombie : à de nombreuses reprises, le terme « goule » est utilisé comme synonyme de « zombie » ou de « mort-vivant ». J'ignore s'il s'agit d'une problème de traduction, mais il convient de rappeler que la goule, dont le nom provient d'un mot arabe signifiant « démon », désigne avant toute chose le vampire femelle. Certes, ce monstre est devenu dans l'imaginaire moderne ou dans la mythologie des films d'épouvante très variable dans ses formes et ses comportements, mais le ranger ainsi dans la catégorie des zombies n'en demeure pas moins parfaitement inapproprié, quoi qu'en disent les créateurs de Warcraft...

Sur ce, je vous laisse, et si vous appréciez les joies de la pêche sous-marine, prenez vos précautions : les fonds des mers et des océans sont probablement infestés de zombies qui ne demande pas mieux que d'avaler goulument quelques cuisses d'hommes-grenouille ! 
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commentaires

T
<br /> je suis actuellement en train de lire ce livre et c'est en faisant des recherches sur ce fameux "document lawson" (p 123) que j'ai attéri ici.<br /> je partage également ton point de vue a propos de ce livre,on rentre assez facilement dans le monde infesté de gens qui se sont vu refusé le repos eternel.<br /> bref tous les amateurs du genre devraient apprécié ;-)<br /> <br /> <br />
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V
<br /> Peux pas faire autrement, ce sont mes héritiers. :-((<br /> <br /> @Cali: Quels radins, c'est de la racaille !<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Dans ce cas, ce sont les parents qu'il faut blâmer, tu le sais aussi bien que moi ! ;)<br /> <br /> <br />
A
<br /> Tu as de très bonnes relations, dis donc, conserve-les bien ! :-)<br /> <br /> <br />
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V
<br /> Salut ArPaNet,<br /> <br /> Pour le prix je ne sais pas, c'est un cadeau.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Alors ça m'ennuie de révéler le prix d'un cadeau, mais le bouquin coûte 17 euros... !<br /> <br /> <br />
A
<br /> Merci Cali Gari (et merci indirectement à Vartan) pour m'avoir donné le goût de découvrir ce Guide de Survie.<br /> <br /> À noter que ce Guide a été largement exploité dans Zombieland (sorti récemment en DVD aux States) où le protagoniste énumère et rappelle, quand l'occasion se présente, les règles qu'il faut<br /> strictement adopter en présence d'un zombie.<br /> <br /> Au passage, même si je trouve la fin un peu bâclée, Zombieland est très drôle, assez original, et bénéficie surtout d'un montage vraiment sensationnel. Voilà, j'ai terminé mon coup de pub, je vais<br /> essayer de me procurer ce Guide du Survie.<br /> <br /> Tiens, pour le coup, à combien vous l'êtes-vous procuré ?<br /> <br /> <br />
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