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1 juillet 2010 4 01 /07 /juillet /2010 00:50

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Il y a des films qui ne cesseront jamais de m'impressionner, et Night of the living dead en fait indéniablement partie. Hier je me suis dit que ce serait une bonne idée de me faire une petite révision des classiques romeriens en matière de morts-vivants, en me demandant toutefois s'il était vraiment nécessaire de revoir une énième fois son tout premier opus. Après tout, me disais-je sottement, je le connais par coeur. Je pourrais rédiger un article dessus les yeux bandés et les mains attachées dans le dos, rien que de mémoire et en tapant avec les orteils. C'était une erreur, et je m'en suis rendu compte quelques minutes à peine après avoir inséré le dvd dans mon lecteur. On ne perd jamais son temps à regarder Night of the living dead, même si on s'imagine tout en connaître.


Il est coutume de gloser sur le message politique véhiculé par La Nuit des morts vivants, ce qui n'a rien d'illégitime étant donné la personnalité même de Romero, mais qu'en est-il exactement ? Certains veulent voir des symboles partout : ainsi, le drapeau américain trônant au milieu d'un cimetière que l'on entrevoit au début du film est parfois considéré comme une métaphore de la guerre de Vietnam qui faisait alors rage, tant dans la jongle au napalm que dans le coeur des manifestants qui en dénonçaient la cruauté et l'absurdité. Il convient cependant d'être honnête : quand Romero a quelque chose à dire d'un point de vue politique, il ne s'embarasse pas de douces allégories. Son style est, de ce point de vue, bien plus incisif, mordant, ironique ou cynique que cela. Je peux évidemment me tromper, mais j'ai peine à croire qu'il ait mis tant de choses dans ce drapeau qui ne passe qu'une seconde devant la caméra.


Quant au fait que le personnage principal du film soit interprété par un acteur Noir, là encore il semble quelque peu délicat d'y voir un message quelconque. Romero lui-même refuse de s'en vanter : le scénario original mentionnait que Ben était Blanc, explique t-il, mais parmi tous les acteurs qui furent auditionnés pour le rôle, ce fut Duane Jones qui s'avéra le plus convaincant et qui fut donc embauché. Rien d'intentionnel donc, et le film n'accorde aucune importance d'aucune sorte au fait que Ben soit Noir. Il est donc assez réducteur de voir dans Night of the living dead une tentative de dénoncer le racisme ambiant des Etats-Unis au sein des années soixante. On peut au moins constater que Romero et ses acolytes étaient, eux, dénués de tout a-priori racial puisqu'ils ne virent aucun problème dans le fait de donner le premier rôle de leur film à un homme de couleur.


Finalement, l'élément le plus « politique » que l'on pourrait trouver dans La Nuit des morts vivants est encore l'évocation de ce satellite irradié qui, retombant sur la Terre, apparaît comme probable déclencheur de cette transformation des cadavres en monstres anthropophages. N'oublions pas que la recherche spatiale faisait partie des enfants favoris de la Guerre Froide. En somme, obsédé par ses idéologies et ses rêves de grandeur, l'homme cause sa propre perte en semant sur sa planète le germe du chaos et de l'anarchie. Ça ne vaut pas tripette comme analyse, mais sincèrement je ne vois pas mieux.


En ce qui concerne la sociologie même des individus, et je veux parler des individus vivants, là nous sommes déjà en présence que quelque chose de nettement plus intéressant. Night of the living dead est un huis-clos : il repose donc avant tout sur la psychologie de ses personnages. A commencer par Barbra, jeune fille de bonne famille qui, en état de choc, reste prostrée la majeure partie du film, n'ayant que des éclairs de lucidité qui rapidement s'éteignent pour la laisser retomber dans une folie douce soutenue par un regard vide. Vient ensuite le jeune couple, Tom et Judy, amoureux et courageux, mais également trop immatures pour prendre des décisions nettes et tranchées, et qui payeront de leur vie une témérité excessive. Effet de miroir oblige, le « vieux » couple s'incarne en la personne de Harry et Helen Cooper : lui est un être veule et roublard, incapable d'écouter les autres et têtu comme une mule. Elle est une femme lassée de son mari, mais pas assez courageuse pour tenter de le tempérer ou de le canaliser. Quant à leur fille, Karen, elle est la victime de ce couple raté, agonisant dans la cave après avoir été mordue par un zombie, tandis que son père lutte pour asseoir son autorité et que sa mère demeure à ses côtés, parfaitement impuissante. Et enfin, last but not least comme disent nos amis portugais, le personnage de Ben : autoritaire mais humain, pragmatique mais capable d'empathie, il est probablement le personnage sachant le plus faire preuve d'intelligence, ce qui ne l'empêche pas de commettre des bévues sans nom ni de sombrer dans un orgueil revanchard qui l'amènera à commettre un meurtre.


Voilà ce qui fait la force des personnages de Night of the living dead : ils sont intrinsèquement humains. Ils se battent, ils se trompent, infichues de coopérer sans qu'un système hiérarchique finisse pas se mettre en place, dont certains veulent forcément prendre la tête pendant que d'autres ne demandent pas mieux que de s'y soumettre. Et ils n'ont pour point de repère que les autorités qui, à travers des messages radiophoniques ou télévisuels, avouent leur totale incompréhension face au cataclysme qui se développe dans le pays. A noter l'un des grands points forts du film : la qualité de ces dialogues. Ceux-ci servent à merveille la psychologie de chacun des personnages, et se révèlent surprenants par la justesse de leur ton.


Mais si l'on parle psychologie, il conviendrait alors de passer à une autre sphère plus psychanalytique. Avec Romero, on est toujours dans le trouble. La névrose et la psychose sont d'éternels compagnons de route de ce réalisateur, et son premier film n'échappe certainement pas à la règle. Le fait même que les morts-vivants soient anthropophages est assez révélateur. On est en droit de se demander pourquoi un cadavre fraîchement revenu à la vie éprouve ainsi le besoin pressant de dévorer de la chair humaine. Le tabou du cannibalisme, pierre angulaire du mythe du zombie moderne, compte parmi les éléments les plus déstabilisants de La Nuit des morts-vivants. Il est un avatar réactualisé du mythe du vampire, qui lui est évidemment très proche, mais soutenu et amplifié par le fait que cette monstruosité ne surgit plus dans de sombres chateaux de la banlieue transylvanienne mais dans les environs de Pittsburgh, au sein même de la vie quotidienne du spectateur, et que le film choisit de ne rien cacher ou presque des ébats cannibaux de nos sympathiques morts-vivants qui apprécient la viande humaine tout autant crue que cuite et se disputent les abats comme des chiens se battent pour un os. Romero ira ensuite bien plus loin dans le gore, mais on ne saurait prétendre que Night of the living dead en est exempt.


A noter encore, car c'est loin d'être anecdotique, que la dimension cannibale s'enrichit d'une superbe évocation oedipienne lorsque la petite fille, passée de vie à trépas, entreprend de dévorer le bras de son géniteur. C'est l'un des passages les plus hystériques du film : en l'espace de cinq minutes, on y découvre une gamine dévorant son père puis assassinant sa mère, tandis qu'à l'étage au-dessus une jeune femme est précipitée dans la foule des zombies affamés par son propre frère revenu à la vie. Si tout cela ne vous évoque pas un abominable étalage de névroses familiales, c'est que vraiment vous n'avez jamais lu Freud !


Pour autant, je m'en voudrais de conclure cet article sans m'attarder sur la dimension purement cinématogaphique de Night of the living dead. Nous sommes en présence d'un film défiguré. Au début, cela ressemble à du cinéma typique des années soixante, certes nanti de peu de moyens et fleurant bon l'amateurisme mais tout de même assez classique. Le propos est violent, la réalisation relativement nerveuse, mais le tout est soutenu par des effets musicaux grandiloquents et même assez emmerdants : ça violonne a tout-va pour un oui ou pour un non sans grande créativité. Et puis, à mesure que l'histoire progresse, la réalisation se fait de plus en plus chaotique, hachée, opressante dans des coupes claires et des effets de montage hargneux, tandis que la musique tend à devenir de moins en moins mélodiques pour ne plus se résumer, parfois, qu'à des sons ou des bruits souligant à merveille la situation de plus en plus désespérée des assiégés. En somme, Romero part sur un schéma conventionel pour déstructurer, de façon consciente ou non, sa narration jusqu'à mettre en place ce qui apparaît comme les prémisces de son cinéma des années soixante-dix : un cinéma âpre, rejetant l'obligation ludique et les fioritures hollywoodiennes, qui n'est pas sans rappeler dans sa théorie comme dans sa pratique le Dogme95 de Lars Von Trier et Thomas Vinterberg.


Il faut aussi, enfin c'est mon opinion et je fais ce que je veux vu que c'est moi qui suis en train d'écrire, dire quelques mots sur le caractère hitchcockien du film. N'ayons pas peur des mots : le cinéma d'épouvante contemporain ne serait pas le même sans Hitchcock, et La Nuit des morts vivants en est la preuve. Comme je le dis souvent, le premier film de Romero peut apparaître comme une reprise des Oiseaux, dans laquelle des cadavres animés remplacent les mouettes ou les corbeaux. Dans les deux cas, le monde est précipité dans le chaos par un élément de son quotidien auquel il ne lui est jamais venu l'idée de prendre garde. Evidemment, envisager la résurrection des morts est nettement plus irrationnel que se représenter des attaques d'oiseaux, mais le résultat n'est est pas moins similaire, et au sein des deux films nous sommes en présence de quelques personnages pris dans la tourmente, et non pas d'une vue d'ensemble de la situation mondiale. En somme, Romero comme Hitchcock choisissent de traiter un cataclysme planétaire en adoptant un point de vue intimiste. Encore et toujours de la psychologie...


Je n'ai jamais entendu Romero parler de Hitchcock, et peut-être que personne ne lui a jamais posé la question, mais c'est fort dommage. Car lorsque Barbra monte les escaliers de la maison dans laquelle elle a trouvé refuge et tombe sur le visage décharné et ensanglanté du cadavre qui y repose, j'ai du mal à ne pas voir dans le petit effet de zoom qui accompagne cette macabre découverte une citation hitchcockienne. — Beaucoup plus évident, la scène du meurtre de la mère est une référence directe à Psychose. Rien n'explique pourquoi la petite fille choisit de trucider sa maman à l'aide d'une truelle. C'est une zombie, elle n'est donc pas censée être animée par un désir criminel, mais par un désir cannibale. Cet écart au sein du scénario semble donc avant tout une manière de caser une série de plans qui, dans leur mouvement comme dans celui de la musique qui les accompagne, font plus que jamais penser au fameux épisode de la douche qui fit la renommée du chef-d'oeuvre d'Hitchcock. Un prétexte, en somme. On peut y voir de l'opportunisme, moi j'y vois surtout une volonté de rendre hommage au maître du suspense.


Indémodable, inaltérable, Night of the living dead est un film majeur, chantre de la contre-culture et prophète d'une nouvelle ère cinématographique. Ne pas l'avoir vu est un crime et ne pas l'aimer un blasphème. Je ne m'en lasserai jamais. J'aurais beau essayer que je n'y arriverais pas. Le seul vrai souci du cinéphile concernant ce film est de trouver une version valable, c'est-à-dire correctement restaurée et en VOST. Le film étant libre de droits — pour des raisons assez longues à expliquer mais si vous voulez en savoir plus, Google saura vous renseigner mieux que moi — fait que l'on trouve sur le marché un nombre invraisemblable d'éditions différentes. Pour ma part, je recommande le coffret de la Trilogie des morts vivants qui en propose une version irréprochable, et vous déconseille avec force la copie qu'a édité Bach (bas de gamme, comme toujours avec cette compagnie) ou l'édition colorisée qui n'est ni plus ni moins qu'une hérésie.


Sur ce je vous laisse, et si vous êtes du genre à faire le guignol dans les cimetières, tâchez de ne pas oublier que les morts ont droit au respect et que les réveiller n'est jamais une bonne idée, dans la mesure où ils sont bien plus du genre à rendre justice eux-mêmes qu'à porter plainte pour tapage nocturne.

 

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commentaires

A
<br /> Merci beaucoup pour ta critique, Cali Gari, ton analyse de la psychologie des personnages est fort intéressante, même pour quelqu'un qui connaît le film par coeur.<br /> <br /> Contrairement à toi, en revanche, je n'arrive pas à percevoir le côté déstructuré de la réalisation de Romero. Je trouve l'ensemble bien trop classique, bien trop lisse et, hélas, bien trop daté à<br /> mon goût.<br /> <br /> Et c'est d'ailleurs ce que je reprocherai aux premières oeuvres de Romero, en général : des cadrages classiques, sans personnalité, et un montage léthargique, plombant généralement le rythme de<br /> l'oeuvre. En particulier dans The Crazies, à mon sens. Mais ce n'est point le lieu pour en parler...<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Pourtant, en le revoyant, moi qui partais sur la même idée que toi, j'ai vraiment réalisé que la réalisation tendait à devenir de plus en plus chaotique à mesure que le film progressait. Ce n'est<br /> peut-être qu'une impression, et rien ne dit que c'est intentionnel de la part de Romero, mais j'ai vraiment trouvé cela marquant !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pour The Crazies, je devrais le revoir prochainement, ainsi que son « remake »... ;)<br /> <br /> <br /> <br />
V
<br /> Carrément ! Un film prémonitoire pour mettre en garde contre le réchauffement climatique et proposant quasiment une thérapie familiale. Romero 3 en 1 !<br /> J'adore aussi évidemment. Le début est un petit chef-d'œuvre de suspens, filmé très classiquement mais efficace, on a déjà là toute l'emprise que font vivre les zombies dans les scènes de<br /> poursuite, cette lenteur à laquelle les vivants ont pourtant du mal à échapper. tripant. Magnifique huis-clos, ouais. Je vais repasser la bobine. :D<br /> En parlant de tripes... Déjà ce goût des morts-vivants pour l'intestin qui demeure une constante chez les zombies de Romero.<br /> <br /> <br />
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